12 Sep Entre attente et miracle – Église Chora
Franchir le seuil de l’église Saint-Sauveur-in-Chora, c’est entrer dans un monde d’une beauté éblouissante. La tête se lève spontanément pour contempler les murs tapissés de mosaïques et de fresques. L’histoire du salut chrétien se déroule dans des images très colorées, solennelles et hiératiques, très riches d’humanité et de tendresse authentique.
Emporté dans périple fait d’arcs, de coupoles, de lunettes, ébloui par l’abondance des mosaïques d’or, fasciné par une succession d’épisodes, de figures, de couleurs, le visiteur se sent transporté dans un autre espace.
Le programme iconographique est composé de plusieurs cycles qui enchantent mais restent parfois incompréhensibles pour ceux qui ne connaissent pas les histoires racontées dans les évangiles apocryphes et les textes des fêtes liturgiques. Ce sont des tesselles d’une conception théologique et artistique soigneusement élaborée, parmi les chefs-d’œuvre les plus exceptionnels de l’art et de l’architecture byzantine … À notre avis, c’est le chef-d’œuvre de Byzance en ce qui concerne les cycles de la mosaïques, une merveille dont nous aurons la joie de commenter de nombreuses scènes.
Qui devons-nous remercier pour une telle beauté ? Sans doute les mosaïstes et iconographes qui ont méticuleusement donné forme à cette merveille : le christianisme byzantin n’a pas conservé la mémoire de leurs noms, partisan convaincu d’un rôle ecclésial et non individuel des artistes, au service de la rencontre avec le divin.
En revanche, les noms des commanditaires sont souvent conservés, grâce à des inscriptions murales et / ou des documents.
Chora est une donation de Théodore Métochite, l’un des savants les plus érudits et prolifiques de l’Empire byzantin, un expert en finances, un homme d’État devenu vice-empereur. Grâce à son travail, le monastère possédait la bibliothèque la mieux fournie de l’empire, et l’église la plus spectaculaire. Une série d’indices nous conduit à supposer qu’il a su convaincre les moines de conserver ses propres livres, et avec les iconographes des sujets à représenter ; on peut l’imaginer alors que, entre 1313 et 1321, il supervisait le chantier des travaux de rénovation et de décoration (il habitait en face du monastère); on a le sentiment de l’apercevoir au cours des longues prières liturgiques monastiques auxquelles il participait habituellement, notamment les veillées nocturnes, dans les années de sa carrière politique et à la fin de sa vie, quand il devint lui-même moine.
Parmi les nombreux épisodes capables de transmettre force et émotion, je suis émue à chaque fois que j’examine une scène de l’enfance de Marie qui appartient au cycle que Chora consacré à la Vierge, telle que racontée dans l’apocryphe nommé le Protévangile de Jacques. Joachim tient sa petite fille dans les bras et la présente aux prêtres, assis autour d’une élégante table, selon un motif utilisé depuis des siècles pour représenter les trois anges accueillis par Abraham lors de leur visite aux chênes de Mambré (Gn 18). Les prêtres se retournent, de voir l’homme que l’un d’eux avait tenu à l’écart des mois auparavant dans le Temple, précisément parce qu’il n’avait pas d’enfant.
Joachim, un homme juste, a vécu l’attente et maintenant il porte le miracle entre ses mains. Sa foi puissante et son équité envers ceux qui l’ont jugé non pas pour ses actes sacrés mais pour son manque de descendance, sont un exemple admirable. Et ses mains recouvertes en signe de respect sont un indice que Dieu lui a permis de deviner le destin exceptionnel de la petite fille qu’il présente pour la bénédiction, comme le lit l’inscription : ‘Ē eulógēsis tōn ieréōn.
Marie est ici la Théotokos en miniature. Recouverte du maphorion bleu classique, la tête nimbée, elle est assise sereinement dans les bras de son père et regarde les prêtres qui la bénissent. Ceux-ci l’admettront à l’intérieur du Temple, lieu traditionnel réservé au clergé, et découvriront que son destin est exceptionnel : elle va devenir « Chōra tou Achōrētou », arche et demeure de l’Incontenable.