La Sixtine de Bologne: l’Oratoire Sainte-Cécile

La présence des galeries à Bologne rend souvent difficile l’individualisation des édifices religieux et en particulier l’Oratoire Sainte-Cécile serait aujourd’hui introuvable, si une association culturelle n’était pas engagée depuis des années dans sa promotion et sa mise en valeur.

La raison d’une telle réserve s’explique par sa fonction d’origine. L’édifice à nef unique était une église paroissiale, placée derrière les contreforts de l’abside de Saint-Jacques-le-Majeur, grande fondation augustinienne du XIIIe siècle et église palatine durant la seigneurie des Bentivoglio, qui avaient leur demeure là où se dresse aujourd’hui le Théâtre Communal. Dans l’église de Saint-Jacques se trouvent la sépulture de certains membres de la famille et en particulier une des chapelles du tour du chœur gothique fut reconstruite par les Bentivoglio et terminée en 1486 pour être le lieu de la célébration de leur dynastie.

Juste derrière cette chapelle se trouve l’Oratoire Sainte-Cécile, à laquelle on n’accède que par la rue San Donato (aujourd’hui via Zamboni) qui longe le flanc de l’église principale. Comme la chapelle Bentivoglio, elle aussi fut reconstruite par la famille puissante sur une fondation antérieure, dont elle a maintenu la dédicace.

Les restaurations de la structure architectonique furent terminées en 1483, mais la décoration des murs ne commença qu’en 1505, pour mener à son terme une restructuration perçue comme nécessaire depuis les tremblements de terre qui avaient frappé la cité au cours des mois précédents. Les fresques furent confiées aux peintres de cour, promoteurs du goût du dernier quart du Quattrocento : Francesco Raibolini, connu sous le nom de Francia, Lorenzo Costa et Amico Aspertini, le plus jeune de tous et le plus au goût du jour. Justement Amico était récemment rentré de Rome, quand il fut inclus dans l’entreprise. On ne sait pas qui fut le concepteur du projet iconographique développé en dix scènes, inspiré de la Passion de la sainte, et comprenant aussi les épisodes de la conversion et du martyre de son mari Valeriano et de son beau-frère Tiburzio. Mais c’est un fait que l’emplacement de la décoration de l’oratoire reprend celui d’une chapelle déjà bien plus célèbre à l’époque, voulue par le pape Sixte IV dans le Palais Apostolique du Vatican et décorée sur ses murs à partir de 1483 par les principaux peintres florentins du moment et leurs élèves: Sandro Botticelli, Pietro Perugino, Pinturrichio, Domenico Ghirlandaio, Cosimo Rosselli, Pietro di Cosimo, Bartomomeo della Gatta.

Donc encore avant l’intervention de Michelangelo Buonarotti, la chapelle Sixtine était déjà un modèle par son prestige et sa modernité. C’est ainsi qu’elle a dû apparaître aussi aux yeux d’Aspertini, qui eut probablement un rôle dans le projet d’organisation des fresques de Sainte-Cécile. Dans chacun des deux cas, les équipes d’artistes furent actives au même moment et se conformèrent aux mêmes critères narratifs — dimensions des figures, rapport au paysage, choix de la gamme chromatique — pour donner son unicité au récit des cycles. C’est pourquoi la décoration bolonaise n’est pas complète dans la partie supérieure, à cause de l’exclusion des Bentivoglio de Bologne à l’œuvre du pape Jules II, et certaines parties des fresques ont été endommagées par les modifications apportées au cours des siècles à l’oratoire, est évidente une répartition qui reprend celle de Rome.

C’est ainsi qu’il y a une feinte corniche en pierre qui encadre la scène, distincte des pilastres décorés de candélabres d’un goût renaissant exquis. Les scènes sont surmontées d’une haute corniche dans laquelle la face centrale sont écrites en lettres capitales leurs sujets. Alors que dans la Chapelle Sixtine les mots couronnent sur une seule ligne, ils se développent dans l’oratoire de Bologne sur deux lignes, probablement parce que les épisodes racontés étaient moins connus des fidèles et devaient être décrits de manière plus précise afin que les images puissent être comprises. Les fenêtres placées dans l’ordre supérieur, dans les deux lieux sont essentielles pour éclairer de manière adéquate les scènes peintes. Cette comparaison avec le milieu romain fut soutenue plus loin par Aspertini, qui enrichit les fresques qu’on peut lui attribuer par de nombreuses citations inusuelles d’épisodes reliés advenus à divers moments, peints sur le fond de la scène principale, à la représentation des parties saillantes de l’histoire, insérées comme ornements aux objets sacrés tels des autels, des sarcophages. Avec un tel arrangement, l’artiste souligne la signification cultuelle de ces épisodes, en les transformant en parties de monuments d’un passé important. En particulier dans la scène de la Sépulture des saints Valérien et Tiburge, les côtés frontaux des structures de pierre fonctionnent comme modernes display : en bas à gauche, sur un ample parallélépipède est peint en style pompéien le martyre de sainte Cécile et sur celui qui est plus petit et posé au-dessus — imitant un bas-relief — la capture de la sainte (aujourd’hui à peine visible). Ainsi est confirmée de manière constante la diachronie de l’histoire racontée, grâce au fait que chacun des épisodes renvoie continuellement aux précédents et aux suivants, en sorte que chaque scène puisse offrir un point de vue différent sur l’ensemble de la vie de la sainte, représentée ici dans la narration principale tandis qu’elle pleure son mari et son beau-frère défunts. Le troisième display est en face du sarcophage de Valérien, sur lequel est représenté un bas-relief avec la Dernière Cène, pour souligner la valeur du sacrifice du saint, comparé à celui du Christ. Certaines des figures peintes dans cette scène sont tirées de monuments antiques, pour rendre plus convaincante l’ambiance du IIIe siècle. Parmi elles il y a le corps sans vie de Tiburzio, placé juste à côté de sa tête coupée, dont la blancheur cadavérique l’assimile encore plus à la statue de Niobide de la collection Maffei à Rome, d’où elle provient: l’éternité de la mémoire du martyr est évoquée par l’exemplaire durable en marbre antique.
L’état actuel de conservation des fresques bolonaises, qui ont presque perdu les finitions à la tempera sèche et les détails pastilles dorés, ne permettent pas d’apprécier pleinement la richesse formelle originaire. Le caractère inachevé et la damnatio memoriae qui incombent à ses commanditaires contribuent à une sous-évaluation de ce chef d’œuvre de la première Renaissance de l’Italie septentrionale, créé par les peintres acteurs d’une importante scène artistique, au courant des exemples toscans mais également de ceux de Venise ou de Lombardie, capable en tout état de cause de donner vie à un langage original et poétique.

D’autres œuvres des peintres actifs dans l’Oratoire Sainte-Cécile peuvent être admirés à la Pinacothèque nationale et dans les Collections Communales d’Art de Bologne, et aussi dans de nombreuses églises de la ville.

Silvia Battistini